AVERTISSEMENT.

CElui qui a compos� ce Dictionnaire a cru qu'il rendroit quelque service au Public. Il s'est trouv� en des occasions qui l'ont fort embarasse, parce que les livres ne lui fournissoient pesque aucun secours pour traduire un grand nombre de termes de Marine Hollandois qu'il �toit oblig� de mettre en François; & l'on peut bien juger que ce n'�toit pas sans beaucoup de difficult� qu'il pouvoit s'en �claircir avec les gens de mer.

Ce qui lui est arriv� a pu arriver � d'autres, ou auroit pu leur arriver, s'ils avoient voulu se donner la m�me peine. C'est ce qu'il a remarqu� en diverses lectures. On voit des livres, d'ailleurs parfaitement bien �crits, & des traductions d'Ouvrages entiers, ou de quelques pi�ces infer�es en d'autres ouvrages, o� tout ce qui regarde la marine est mis de travers. Par example, on lit en quelques-uns, En tems de calme, au lieu qu'il devroit y avoir, Quand on va � la bouline.

On peut donc dire hardiment que sans un bon Dictionnaire de Marine on ne sauroit entendre ni traduire les Ecrits Hollandois qui concernent l'Histoire, ou les Voiages. La pl�part des �venemens considerables qui regardent l'Etat des Provinces-Unies, sont arrivez sur la mer, & y arriveront apparemment encore, parce qu'elles en sont en evironn�es, & que c'est par la navigation qu'elles sont venu�s au point de prosp�rit� o� on les voit, & qu'elles s'y maintiennent. Ainsi les Voiages & l'Histoire des Hollandois, ces deux sortes de compositions si utiles & si agr�ables, ne peuvent se lire, ou du moins �tre bien entendu�s, qu'avec le secours d'un ouvrage pareil � celui-ci.

Il n'est pas moins n�cessaire pr�sentement pour les François, parce qu'ils s'appliquent � la Marine plus qu'ils ne faisoient autrefois; & cela donne lieu � la composition de beaucoup de livres, qu'on ne peut entendre facilement qu'avec l'aide d'un Dictionnaire. Mais sur tout les gens qui se destinent � cette profession en peuvent tirer beaucoup d'utilit�.

On s'imaginera peut �tre qu'il a �t� fort-ais� de faire cette composition, particulierement en François & en Hollandois, parce qu'on a d'assez bons Dictionnaires François pour les seuls termes de Marine, & d'autres fort etendus, qui contenant en g�n�ral les termes des Arts & des Sciences, se trouvent aussi assez exacts sur les termes de ce m�me Art.

Il faut avouer qu'on a eu beaucoup plus de secours des livres, � l'egard du François, qu'� l'egard du Hollandois. Neanmoins les Dictionnaires qu'on a en cette premiere langue ont chacun leur defaut. Celui de Mr. Guillet est admirable en ce qu'il comprend, j'entens sa troisi�me partie des Arts de l'Homme d'ep�e. Il n'y a rien qui ne soit utile & � propos: il n'y a rien qui ne soit tir� des meilleurs Auteurs, ou qui ne soit en usage parmi les bons Mariniers. Chacun des mots qu'il contient est nettement & amplement expliqu�. C'est pourquoi on l'a presque tout copi�, & s'il en a �t� laiss� quelque chose en arriere, cela est arriv� par accident, & contre l'intention qu'on avoit. Mais il s'en faut beaucoup, & trop, que cet ouvrage ne contienne tous les termes de Marine. On en avoit besoin d'un plus �tendu.

Le Dictionnaire de M. Desroches est plus abondant en termes, mais les d�finitions & descriptions y manquent. Ce qu'il y en a est trop court & n'est pas net. Le Dictionaire de M. Ozanan contient aussi des descriptions trop abr�g�es. Elles ne sont propres que pour des gens qui ont d�ja connoissance de la Marine. Enfin l'un & l'autre sont pour ceux qui savent d�ja les choses, mai[s] ils ne les expliquent pas assez clairement & assez au long pour ceux qui n'en ont encore aucune id�e, ou qui cherchent des �claircissemens. Les Dictionnaires des Arts & des Sciences n'a�ant presque rien de nouveau, & qui ne soit tir� de ces pr�cedens, on peut les mettre au m�me rang, & dire aussi qu'ils ne sont pas suffisans: outre que de semblables livres sont une bibliotheque enti�re, & il y a quantit� de gens qui sont bien aises d'avoir seuls dans un livre les termes d'un Art qu'ils veulent conno�tre.

Mais il y a dans celui-ci qu'on ne trouve ni dans les uns, ni dans les autres de ces Dictionaires. Ce sont des R�gles & des Maximes pour la construction des vaisseaux & pour la navigation; quantit� de figures qui donnent beaucoup d'�claircissemens pour l'une & pour l'autre; le d�tail de ce qui regarde le devoir & l'emploi de chaque Officier. Sur tout on y voit des devis de vaisseaux de diverses sortes, & de diff�rentes grandeur, ce qu'on n'a point connoissance qui se soit vu jusques-�-pr�sent dans aucun livre François.

Pour les Hollandois ils n'ont sur cette mati�re qu'un Dictionnaire nomm� le Zeeman, qui laisse souvent � part l'explication des termes par rapport � la Marine, & se jette sur leur sens m�taphorique, ou proverbial. D'autres fois pour chercher l'explication d'un terme qu'il rapporte, & sur lequel il ne dit rien, il renvoie au livre de M. Witsen: livre rare � tous egards, qui a peine se peut trouver, & qui est d'un prix excessif. L'Auteur n'a ecrit que pour un tr�s-petit nombre de gens, en n'ecrivant que pour ceux qui ont le livre de M. Witsen, ou qui le peuvent voir. Je ne parle point des autres qualit�s qui manquent � sont ouvrage; je dis seulement qu'on n'en peut tirer que peu, ou presque point d'utilit�.

Mais quand ces Dictionaires seroient plus accomplis chacun en leur langue, il est constant qu'il n'y en a aucun, ni point d'autre livre, qui donne jour � concilier les deux langues, & cet embaras n'est pas mediocre. On fait que dans l'une & dans l'autre langue la pl�part des termes de Marine sont hors de l'usage commun, ou qu'ils s'emploient dans une signification eloign�e de leur signification ordinaire. Il faut donc des explications, & souvent de grandes explications pour les faire comprendre: si bien que cette conciliation a donn� une peine extr�me. C'est ce que sont priez de considerer ceux qui pourroient n'�tre pas contens de cet ouvrage, ou y trouver quelque chose � redire.

Il n'y en aura peut-�tre que trop, de choses � redire. Un tel ouvrage est rarement amen� � sa perfection la premiere fois qu'on y met la main; & d'ailleurs il est � craindre qu'il ne se sente du peu de suffisance de celui qui l'a fait, quelque soin qu'il se soit donn�, & quelque peine qu'il ait prise. Mais aussi est-il persuad�, & il en est persuad� d�ja par experience, qu'il y aura plus de gens se m�leront d'y trouver � redire, qu'il n'y en a ordinairement � l'egard des autres livres. En voici la raison.

Les termes de Marine �tant particuliers, & la pl�part peu connus, il n'y a point de gens de mer qui ne s'�rigent en Docteurs sur ce point. Chacun croit savoir tous les termes de l'Art qu'il professe, & que c'est � lui, & non � ceux qui ne sont pas de cette profession, & pr�ferablement encore � tous ceux de sa profession, de decider des termes, & d'en d�clarer l'usage. Chacun croit que le terme qu'il fait non seulement est bon, mais que c'est l'unique terme, ou l'unique bon; & c'est-l� l'erreur & le mal. C'est par-l� qu'on pr�voit qu'il n'y aura peut-�tre pas un mot en ce livre qui ne soit censur� par quelqu'un.

Mais avant que de prononcer contre l'Auteur, on prie ceux qui voudront entrer en connoissance de cause, de faire reflexion sur ce qu'on va leur remontrer.

C'est qu'il n'en est pas des termes de Marine comme de ceux du langage commun, pour lesquels il y a un usage d�clar� de la Cour & des bons Auteurs du tems, qui sert de r�gle. Au contraire, la Cour & les Auteurs reçoivent les termes de Mer des Mariniers, qui les donnent selon qu'ils les ont. On se sert dans le pa�s d'Aunix & sur les c�tes de Gascogne de beaucoup de termes peu connus ailleurs. On en a de tout differens le long de la Manche, & de plus differens encore en Provence.

Lors qu'on veut s'�claircir de quelque mot, ou de quelque façon de parler, & qu'on consulte un Marinier ou un Charpentier de vaisseau du Pa�s d'Aunix, ou de Gascogne, il vous decide hardiment que cela ne vaut rien, & qu'on ne s'en est jamais servi. Les Mariniers des c�tes du Canal sont tout de m�me, & rejettent comme inou�s les termes du golfe d'Aquitaine. Pour les Provençaux ils n'entendent point du tout les autres, & ils n'en sont point entendus qu'apr�s une pratique particuliere.

C'est encore pis parmi les Hollandois. Il n'y a pas loin de la Meuse � la Nord-Hollande; cependant les termes sont souvent fort differens, ou du moins leur usage l'est. Par exemple les Charpentiers de la Nord-Hollande nomment les Varangues Buikstukken, & les Genoux Sitters. Mais les Charpentiers de la Meuse nomment les Genoux Buikstukken, & les Varangues Leggers. Montrez � un Charpentier de Nord-Hollande un passage d'un livre o� Buikstukken signifie Genoux, il ne fait o� il en est, & dit que c'est un ignorant qui l'a �crit.

Les Mariniers, je dis m�me des Officiers de la Marine, font la m�me chose. Plus ils sont intelligens & plus imperieusement ils decident que le terme dont ils n'ont pas acco�tum� de se servir, ne vaut rien du tout, & ne peut �tre en usage nulle part. C'est ce qu'on a �prouv� dans l'occasion pr�sente. Cependant apr�s avoir fait bien des enqu�tes, & leu plusieurs livres, on a trouv� que les termes qu'ils bannissoient, �toient d'un usage aussi frequent, & quelquefois plus frequent, que ceux qu'ils vouloient faire passer pour uniques. On pourroit en raporter des exemples s'il en �toit besoin. Mais il n'en faut point d'autres preuves que les livres des E'crivains de la Nord Hollande & de ceux de la Meuse. On l'a d�ja dit, il y a quantit� de mots & de façons de parler qui sont en usage dans une de ces parties de la Province de Hollande, dont ni les E'crivains, ni les Charpentiers, ni les Mariniers de l'autre partie non seulement ne se servent pas, mais ils ne les entendent pas.

De cette disposition des esprits & de cette diff�rence de langage il s'ensuit n�cessairement qu'il n'y a presque pas un terme de Marine sur quoi il ne se trouve quelqu'un qui ait � critiquer, d'autant plus qu'il n'est pas possible qu'on emploie tous les termes de chaque diverse Province. A l'�gard du François on donne ici ceux qui sont le plus usitez dans les livres, & dans les Ordonnances autant qu'il s'y en trouve; & sur les c�tes du pa�s d'Aunix, de Saintonge & de Gascogne, comme �tant les Provinces qui ont le plus d'�tendu� le long de la mer, & o� il y a le plus de gens de Marine.

C'est par ces consid�rations qu'on prend la libert� de dire � ceux qui veront un mot qui leur sera inconnu, ou qui leur paro�tra mauvais, qu'il pourroit bien n�anmoins �tre bon, & qu'ils ne doivent pas se h�ter de le proscrire, D'ailleurs, comme on l'a d�ja dit ci-dessus, on ne pr�tend pas qu'il n'y ait point de defauts en ce livre. On fait m�me si bien profession de croire qu'il y en a, qu'on a d�clair� en quelques articles qu'ils n'�toient pas assez �claircis, & qu'on auroit besoin d'explications plus pr�cises. On prie donc ceux qui remarqueront des fautes, ou qui auront quelque chose de nouveau � communiquer, d'avoir la bont� de le faire, & d'en donner ou envoier des m�moires au Libraire, & l'on ne manquera pas d'y avoir �gard: m�me si cela venoit jusqu'� l'�tendu� d'une feuille, on la feroit aussi-t�t imprimer, & on en distribu�roit � part pour tous ceux qui auroient d�ja achet� le livre.

Les mots Hollandois qui sont dans ce pr�sent volume, sont bons, & signifient ce qu'on leur fait signifier; & il n'y pas une de ces descriptions qui ne soit tir�e des meilleurs E'crivains.

En disant ceci je crains de faire tort au plus excellent & plus illustre Auteur qui ait jamais �crit en ce genre. C'est M. Nicolas Witsen Bourgema�ttre d'Amsterdam. Car pour le peu qu'on a emprunt� des autres Auteurs ce n'est pas la peine de se servir de ce terme au plurier. Ainsi je dois pl�t�t dire que ces descriptions sont tir�es du livre incomparable de M. Witsen, o� l'on trouve tout ce qui regarde la Marine des Anciens & celle d'aujourd'hui. Livre qui est devenu si rare & si recherch� qu'il n'a point de prix, & qui a�ant �t� mis dans la bibliotheque du Louvre, comme une pr�cieuse pierre d'attente, jusques-�-ce qu'on en puisse avoir l'explication, y est l'objet des desirs de tous les curieux, qui ne laissent passer aucune occasion d'en rechercher l'intelligence.

Cette circonstance fait d'autant plus esp�rer que ce Dictionnaire sera bien reçu, puis que presque tout ce qui concerne la Marine & l'Architecture navale des Hollandois, est tir� du livre de M. Witsen; & quand il y a quelque chose de consid�rable qui n'est pas pris dans ce livre-l�, on prend soin de marquer que cela vient d'un autre Auteur.

Ce qui est traduit du Hollandois est marqu� pas des guillemets en marge. Les raisons pourquoi on donne les proportions d'une pinasse de cent-trente-quatre pieds de long, de l'�trave � l'�tambord, pl�t�t que d'un plus grand ou plus petit vaisseau, sont touch�es sous le mot E'trave, & d'allieurs c'est le mod�le qui a �t� aussi propos� par M. Witsen. Que si ces proportions, & tout le reste de ce qu'on �tablit en cons�quence, est r�gl� par raport � cette espece de vaisseau qu'on appelle Pinasse, cela n'emp�che pas qu'on n'en puisse faire application � toutes sortes de vaisseaux, en ajo�tant, ou diminuant, selon leur grandeur, & en observant certains changemens n�cessaires. Par tout, dans les traductions, o� il y a, Un vaisseau de tant de pieds de long, il faut entendre que c'est de l'�trave � l'�tambord, qui est la mani�re de parler & de mesurer des Hollandois; au lieu que les François mesurent le plus souvent par tant de pieds de quille portant sur terre.

Parmi les passages qu'on a citez pour faire mieux conno�tre l'usage & la signification des mots, en a pris soin de choisir ceux qui donnent en m�me tems une maxime de navigation, ou de construction, autant qu'on en a pu trouver.


Nicolas Aubin: Dictionnaire de marine, contenant les termes de la navigation et de l'architecture navale. Avec les regles & proportions qui doivent y etre observees. Ouvrage enrich de figures representant divers vaisseaux, les principales pieces servant a leur construction, les differens pavillons des nations, les instruments de mathematique, outils de charpenterie & menuiserie concernant la fabrique; avec les diverses fonctions des officers.
Adrien Moetjens, Haag, 1742 (3rd). The first edition was published in 1702.

Transcribed by Lars Bruzelius.


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